Il est tout à fait légitime de pointer les défaillances de l’exécutif et de critiquer sa communication ou ses tergiversations. Mais la haine qui tient lieu aujourd’hui de critique repose sur l’oubli que l’incertitude est le lot de la condition humaine. Et cet oubli est impardonnable.
La haine qui tient lieu aujourd’hui de critique repose sur l’oubli que l’incertitude est le lot de la condition humaine.
Tout doit être calculé, et pour ce qui semble échapper au calcul, il doit y avoir un coupable. Ainsi certains ne peuvent penser la catastrophe que sur le registre de l’accusation et dans la modalité du scandale. Ils demandent des comptes. Ils exigent sur un ton comminatoire la généralisation d’un médicament dont ils ignoraient l’existence la semaine dernière et ils s’indignent de la pénurie de masques comme ils s’indignaient hier de leur trop grand nombre après l’épidémie de grippe H1N1.
On oublie que «les hommes avancent dans le brouillard» selon la si juste expression de Milan Kundera. Et pour rendre la tâche de ceux qui nous gouvernent encore plus difficile, on en fait les boucs émissaires de nos peurs primaires, on les traduit devant le tribunal de la bêtise surinformée, et on veut les contraindre à prendre les décisions qu’on leur reprochera, ensuite, avec la même arrogance, d’avoir prises.
Confrontée à une pandémie sans précédent, la bêtise de l’intelligence incrimine non le virus mais les gouvernants. Peu importe les immenses efforts que ceux-ci déploient pour sauver les entreprises et pour éviter les licenciements. On tient pour rien que ces serviteurs du « capitalisme international » , comme certains les appellent, aient choisi de figer l’économie pour sauver les vies des plus vulnérables et qu’ils n’aient aujourd’hui qu’une obsession : ne pas se trouver, à cause de l’engorgement des hôpitaux, dans la situation de faire le tri entre les malades.
Imaginons un instant que le pouvoir soit confié aux accusateurs méprisants des gouvernants tâtonnants. On subirait alors, en plus de l’horreur de l’épidémie, les ravages de l’incompétence.
Le repos forcé de l’économie et des transports est un shabbat inespéré pour la Terre. Elle se refait une beauté et les autres créatures respirent. Entrecoupé seulement par le chant des oiseaux, le silence a, en outre, provisoirement repris possession de tous les lieux d’où l’avait chassé le vacarme impitoyable. On apprend aussi qu’à Pékin, le premier effet de la lutte contre la pandémie est une chute spectaculaire des engorgements routiers et une quasi-disparition du dôme de pollution qui dissimulait le ciel.
Produire pour consommer, consommer pour produire: la modernité mondialisée offrait, en effet, le désolant spectacle de cette circularité sans fin. Une volonté planétaire était à l’œuvre en l’absence de tout but et indépendamment de tout contenu. Ce processus nihiliste ne laissait aucun répit à personne
«L’homme est partout, partout ses cris, et sa douleur et ses menaces. Entre tant de créatures assemblées, il n’y a plus de place pour les grillons», écrivait Albert Camus.
Si l’homme, avec le confinement, prend conscience qu’il n’est pas seul, peut-être, une fois la machine remise en marche, gardera-t-il dans les oreilles la beauté du silence. Peut-être aussi retrouvera-t-il le goût de partager la Terre, le respect des distances et le sens de l’indisponible. Je n’ose y croire.