Mettons fin à la récupération politique de la tour Eiffel, ce symbole mérite mieux. Il devrait rester au-dessus de la mêlée, loin des affaires sordides, loin de cette actualité où le mensonge le dispute à la vérité, loin des opinions partisanes et intéressées. La tour Eiffel appartient au temps long, aux temps historiques décantés de nos méprisables passions humaines. La tour Eiffel est un symbole de paix qui a toujours eu valeur d'exemple du génie humain, mais du génie créateur, non pas destructeur.
Partout, dans le monde entier, des hommes et des femmes l'admirent en silence, devant son image ou dans leurs pensées, comme d'autres aiment à contempler un ciel étoilé. Magnifiée par des artistes dans son habit de lumière, la tour Eiffel est désormais une œuvre d'art. Il n'en a pas toujours été ainsi, à sa naissance elle n'était qu'un enchevêtrement de ferrailles, mais c'est précisément en cela que réside sa poésie : qu'une matière aussi frustre puisse ouvrir l'esprit sur une contemplation infinie, Monsieur Eiffel et ses ingénieurs ne l'avaient sûrement pas escompté.
La France, qui s’enorgueillit de son « génie » et de sa « générosité », devrait aller beaucoup plus loin en considérant qu'elle relève désormais du patrimoine de l'humanité. Qu'il incombe à la ville de Paris d'en assumer la conservation, et d'en préserver la beauté, n'implique pas qu'elle soit propriétaire de sa valeur symbolique. D'une part, la ville est remboursée de ses frais par les retombées commerciales, d'autre part, une valeur symbolique n'a ni prix ni propriétaire.
Inconsciente de l'immensité de la valeur symbolique de cet édifice, Paris l'utilise comme une vulgaire vitrine publicitaire de ses choix politiques du moment, sans considération pour les personnes aux convictions opposées mais qui n'ont pas le privilège de pouvoir choisir son aspect. C'est pourquoi, quand certains sont heureux de la voir porter des « hommages » endeuillés à X ou Y, d'autres, à l'inverse, la voit couverte de boue. Dans ces conditions elle ne saurait être un symbole, elle n'est plus rien, rien de plus qu'un trivial monument public. Sa magie n'opère plus, sa Vérité n'est plus, et cette « grande dame », que l'on se plaisait à croire inaltérable et pure, au-dessus de nos querelles, se révèle n'être qu'une dépouille inerte, la défroque d'un épouvantail.
C'est pourquoi je demande à nos députés de bien vouloir s'emparer de ce sujet qui, à bien y réfléchir, est loin d'être aussi futile qu'il n'y paraît. Les plus grands événements qui jalonnent l'histoire de l'humanité ne sont pas ses guerres sempiternelles, ce sont des inventions relevant de l'esprit : le langage, l'écriture, les mathématiques, les arts, les divinités...
Je vous demande donc, Mesdames et Messieurs les Députés, de légiférer sur le statut de la tour Eiffel afin de la considérer officiellement, aux yeux du monde entier, comme un symbole appartenant à l'humanité, et dont les institutions françaises se font le devoir de préserver la valeur, d'en garantir l'inaltérabilité, afin que plus jamais elle ne soit avilie par les considérations liées aux épisodes terre-à-terre de la vie humaine, aussi dramatiques et respectables soient-ils. C'est précisément parce que, toujours et partout, des êtres humains vivent et meurent dans des conditions épouvantables, que nous avons besoin d'une lueur apaisante, sereine, comme éternelle. La poésie et l'imagination ouvrent sur l'infini des possibles : qui peut dire ce que ce symbole inspirera un jour à un être humain ?