Position de la FFAMP relative au projet de création d’une réserve naturelle nationale (RNN) des falaises jurassiques du Calvados
Monsieur le préfet,
La FFAMP regroupe les amateurs de minéralogie et paléontologie sur l’ensemble du territoire national qui partagent une approche responsable, respectueuse de l’environnement, et orientée vers la recherche scientifique. La FFAMP est membre de la Conférence Permanente du Patrimoine Géologique (CPPG), instance de réflexion crée par le ministère en charge de l’Ecologie et de l’Environnement. Cette CPPG a ainsi été à l’origine de l’Inventaire National du Patrimoine Géologique, lancé en 2007 dans le cadre de l’Inventaire National du Patrimoine Naturel. Notre représentativité nationale dans ce domaine est donc reconnue par l’Etat.
Elle promeut la transmission des connaissances entre générations. Cette vocation est décrite dans notre code de déontologie, en pièce jointe, que nos adhérents s’engagent à respecter lors de leur adhésion. En particulier, nos adhérents s’engagent à une pratique non lucrative, des prélèvements raisonnés, et à faire part à la communauté scientifique des découvertes exceptionnelles qu’ils réalisent.
Concrètement, plusieurs de nos membres sont auteurs ou co-auteurs de publications scientifiques sur des découvertes qu’ils ont réalisées, et plusieurs ont créé des musées publics. La FFAMP incite ses adhérents à structurer leurs collections personnelles afin qu’elles puissent être données à des musées. De nombreux membres de la FFAMP s’investissent également avec passion dans la transmission des connaissances aux jeunes et au grand public dans le cadre de leurs associations.
Des liens étroits se sont créés au fil du temps avec les scientifiques ou les conservateurs de musées qui reconnaissent le rôle des amateurs dans la veille de terrain et l’alerte de la communauté scientifique en cas de découverte utile pour le progrès de la science. L’utilité de ce lien a été clairement partagée lors des 4e rencontres amateurs – professionnels organisées par la FFAMP à Rennes au printemps 2022. Elles rassemblaient des représentants régionaux de divers horizons : scientifiques, conservateurs de musées, gestionnaires de réserves naturelles et DREAL.
Dans ce cadre, la FFAMP est favorable à l’idée de création de réserves naturelles qui préservent un patrimoine géologique, mais s’oppose fermement aux modalités d’accès aux sites prévues dans le cadre du projet de création d’une réserve naturelle nationale (RNN) des falaises jurassiques du Calvados.
Il y a plusieurs raisons à cette opposition que nous allons exposer synthétiquement puis développer. Elles concernent l’interdiction de prélèvement sur l’estran :
Dans la dernière partie du document, nous formulons des demandes et faisons des propositions d’amendement des conditions d’accès à la réserve.
Pourquoi la FFAMP estime qu’une interdiction du prélèvement sur l’estran est contraire à la volonté affichée de préserver le patrimoine géologique ?
Sur l’estran, le principal prédateur du patrimoine géologique n’est pas l’Homme mais la mer. C’est d’autant plus vrai dans les zones de terrains meubles comme les marnes ou la craie, très présents sur les côtes du Calvados où l’érosion est très rapide. Dans ces zones, tout fossile ou minéral ramassé est de fait préservé d’une destruction certaine. En cas de mise à nu par les marées d’un spécimen exceptionnel, l’alerte de la communauté scientifique doit permettre une action de sauvegarde très rapide, à l’échelle de quelques jours, voire de quelques heures. Seule une présence humaine régulière avec des yeux avisés est de nature à respecter ce délai : les amateurs passionnés ont ainsi un rôle important à jouer. Dans un contexte similaire, la législation mise en place de l’autre côté de la Manche, sur les côtes du Dorset, a bien pris en compte cette spécificité.
Ce qui est vrai pour l’estran l’est aussi, à une échelle de temps un peu plus longue, pour des terrains côtiers constitués de terrains meubles : il suffit de voir comment les ouvrages du mur de l’atlantique ont été largement « mangés » par la mer en seulement 3 générations.
Interdire le ramassage revient clairement à garantir la destruction : est-ce la finalité d’une réserve naturelle ?
Pourquoi la FFAMP considère que l’interdiction de ramassage aboutira rapidement à une réduction drastique du flux d’alimentation en découvertes récentes pour la communauté scientifique et en spécimens pour les musées ?
Les amateurs, au sens de celui qui aime, ont eu dans le passé un rôle important dans le développement des connaissances scientifiques.
Combien de découvertes ont pour point de départ l’œil d’un amateur. Le cas de Mary Anning, chercheuse de fossiles sur les côtes anglaises est aujourd’hui médiatisé, et son considérable apport à la science reconnu. Mais pour la France, il faut se souvenir que tout le travail d’Acide d’Orbigny, l’auteur de la Paléontologie Française, œuvre reconnue par Charles Darwin comme un « monument de la science du XIXe siècle », repose pour l’essentiel sur des découvertes faites par des amateurs.
Comme le reconnaissent les scientifiques actuels, la contribution des amateurs demeure essentielle à leur travail et au progrès d’une science bien vivante. Par l’œil des amateurs, ils peuvent avoir une présence sur le terrain que leur petit nombre ne permettrait pas, à coup sûr, d’assurer. En outre, de nombreux amateurs développent un niveau de connaissance qui leur permet de dépasser le simple rôle de veille pour contribuer eux-mêmes au progrès scientifique.
Plusieurs membres de la FFAMP ont suivi le parcours d’amateur à chercheur diplômé.
S’agissant des côtes normandes, il serait totalement faux de croire que tout a été découvert, analysé et écrit. Au cours des 30 dernières années, plusieurs espèces nouvelles ont été décrites.
Il est symbolique de constater que près de 80 ans après, certains spécimens exceptionnels détruits en 1944 lors des bombardements de Caen, n’ont toujours pas été retrouvés. L’objectif du projet de création de réserve est-il de réduire les chances d’y parvenir dans l’avenir ?
Le Paléospace de Villers sur Mer aurait-t-il vu le jour sans les nombreux dons d’amateurs qui ont permis d’enrichir ses collections ? La réponse est négative. Et c’est l’autre aspect qui motive notre avis sur le projet : les ramassages effectués par les amateurs aboutissent pour la plupart à l’échelle d’une génération dans des musées. La FFAMP s’est d’ailleurs donnée pour vocation d’assurer une transmission efficace scientifiquement. Veut-on se priver de ce flux et laisser la mer effacer les traces de l’histoire de la vie ?
Pourquoi la FFAMP estime qu’une interdiction de prélèvement sur l’estran va à l’encontre du besoin de transmettre aux jeunes générations et au grand public des connaissances de terrain et une passion, en les privant de la possibilité d’associer connaissance et expérience sensible ?
Les membres de la FFAMP sont des amateurs, mais aussi des citoyens conscients des risques qui pèsent sur notre société.
Dans le cadre de leurs actions de terrain auprès des jeunes et du grand public, ils constatent la montée en puissance de théories non scientifiques, à l’instar du créationnisme. Cette idéologie promeut une vision alternative de l’évolution, incohérente avec les connaissances scientifiques acquises en 200 ans de recherche, mais portée par toutes les formes d’intégrisme religieux ou de populisme qui se développent dans de nombreux pays, y compris dans les pays développés.
Et c’est pour nous le principal danger qu’une interdiction de l’expérience sensible associée à la recherche de fossiles fait peser sur notre société.
La pratique amateur possède un atout maître que les pseudosciences n’ont pas : la pratique de terrain, associant le rêve de la découverte, le plaisir lorsqu’elle se produit, et aussi le plaisir de la partager en famille, avec les membres d’une association, ou des experts dans le cas d’une découverte d’intérêt scientifique. Elle ouvre à la paléontologie le champ de l’émotion, cette étincelle de vie qui fait qu’un fossile (ou un minéral) n’est plus seulement un objet de musée mais devient vivant pour soi. Il y a une grande différence entre dire « j’ai vu » et « j’ai trouvé » : avoir trouvé alimente bien davantage l’envie de comprendre et de développer ses connaissances.
Interdire la récolte de spécimens par des amateurs, par ailleurs promis à destruction par l’action de la mer, revient à couper ce lien sensible.
Nous ne comprenons pas que la création de réserves naturelles, que nous soutenons par ailleurs, s’accompagne d’interdictions qui brisent le lien entre la connaissance et l’émotion.
Nul doute que, si les modalités d’accès à la réserve ne sont pas amendées, elles aboutiront à ce que, pour le grand public, la paléontologie sorte du champ du concret et du réel pour devenir une science virtuelle, pour ne pas dire fossile. Les créationnistes de tous horizons doivent se réjouir …
Pourquoi la FFAMP estime qu’une interdiction de prélèvement sur l’estran aura un impact négatif sur l’économie locale en privant les communes de la zone concernée d’un flux touristique non négligeable en particulier hors haute saison touristique ?
Les membres de la FFAMP sont d’abord et avant tout des passionnés, une passion qui les conduit à parcourir des centaines de kilomètres pour aller sur les lieux de pratique de leur passion.
Les échanges entre nos membres ne laissent ainsi aucun doute sur le sujet : sans possibilité de ramassage sur les sites des côtes, leurs visites sur place vont se tarir. Avec des effets négatifs sur l’hôtellerie, la restauration et la fréquentation des musées locaux. Ce qui est vrai pour les amateurs français l’est également à n’en pas douter, pour les amateurs étrangers : le site des Vaches Noires en particulier est mondialement connu.
Les demandes et propositions de la FFAMP :
La FFAMP demande qu’une réserve géologique créée sur la côte prenne en compte les effets de l’action destructrice de la mer, en particulier dans les zones de terrains meubles et autorise un prélèvement de fossiles raisonné et éthique par les amateurs dans les coulées, les blocs éboulés et sur l’estran.
Le caractère raisonné des prélèvements pourrait être encadré par différentes moyens :
La FFAMP regrette qu’une concertation préalable avec les associations de géologie régionales, elle-même, et les associations professionnelles sur le caractère spécifique d’une réserve dans une zone soumise à l’action destructrice de la mer n’ait pas eu lieu lors du montage du projet et propose qu’elle s’ouvre maintenant, avec l’objectif de définir des règles site par site, adaptées à leur contexte lithologique (ce qui a été fait sur la réserve géologique de Haute Provence où le ramassage est autorisé sur certains sites et interdit sur d’autres). Elle est prête à y être associée.
Le Président Le secrétaire général
Daniel Dourgham Denis Paccard
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