La pratique du micro-trottoir consiste à interviewer des passants pris sur le vifs dans la rue pour les faire s’exprimer sur un sujet d’actualité. Les médias qui utilisent cette pratique pensent ainsi refléter l’état de l’opinion publique tout en l’illustrant de manière vivante. Sans doute veulent-ils généralement bien faire. Ce procédé est cependant inacceptable car il fait appel à des antivaleurs, des comportements qui vont à l’encontre de l’éthique et de la morale.
Premièrement, c’est une ode à la paresse intellectuelle. En compilant des témoignages personnels bruts souvent spontanés, passionnels et tronqués, il dispense le journaliste de faire un vrai travail d’analyse sur le sujet qu’il traite. Or la véritable valeur ajoutée du journalisme, c’est d’apporter un certain degré d’expertise, personnellement ou par l’intermédiaire de spécialistes reconnus de la question.
Deuxièmement c’est abuser de la crédulité de la personne interviewée. Arrêter une personne dans la rue, lui prendre plusieurs minutes de son temps en lui posant des questions sur un sujet d’actualité donc nécessairement complexe, demandant souvent une réflexion personnelle, pour finalement n’en garder et n’en diffuser que quelques bribes, c’est prendre cette personne pour un gogo.
Troisièmement, c’est inutile sur le plan informatif. Connaître l’avis de Madame Michu ou de Monsieur Dupont sur tel ou tel sujet n’apporte rien à personne. Chacun est bien sûr totalement libre d’avoir son propre point de vue, mais pour mériter un focus médiatique, celui-ci devrait s’appuyer sur des bases intellectuelles tangibles et non sur des éléments subjectifs. L’indépendance du journaliste est ici essentielle.
Quatrièmement, c’est nier la diversité humaine et tronquer la réalité. L’humanité compte aujourd’hui plus de 6 milliards d’individus. Nous sommes tous différents et l’actualité résonne en chacun de nous de façon diverse, en fonction de nos parcours de vie et de notre humeur du moment. Réduire la diversité des points de vue à la pensée de quelques individus, c’est faire rentrer les Hommes dans des cases et cela ne correspond en rien à la réalité.
Cinquièmement, c’est retirer à l’Homme sa capacité de réflexion. Servir à un téléspectateur, un auditeur ou un lecteur ce type de « prêt à penser » comme on donnerait de la confiture à des cochons, c’est réduire l’Homme à un organisme primitif monocellulaire, capable uniquement de se reproduire à l’identique et non de se développer en pensant par lui-même. C’est une insulte à l’intelligence humaine.
Sixièmement, c’est infantiliser l’Homme. L’adulte capable de réflexion pense par lui-même sur la base de multiples éléments concrets et factuels. Il ne se forge pas son opinion selon l’avis des autres comme le font parfois les jeunes enfants. Ce sont ces éléments factuels qui méritent d’être mis en avant, bien plus que le point de vue personnel du premier venu.
Septièmement, c’est une insulte à la liberté de la presse. Lorsque les rédacteurs de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen ont souhaité sacraliser la liberté de la presse en 1789, il s’agissait d’ouvrir la porte à l’expression de la diversité des opinions, jusqu’alors largement encadrée par un pouvoir royal absolu. En mettant en avant quelques témoignages spécifiquement choisis, le procédé du micro-trottoir réduit cette ouverture à la portion congrue. Il démontre qu’on peut tout dire, mais surtout qu’on peut dire n’importe quoi. Or le droit à la liberté s’accompagne du devoir moral d’en faire bon usage.
En conclusion, je crois à la responsabilité morale du journaliste, comme à celle de l’élu, du fonctionnaire, et plus largement de chacun d’entre nous. Nous avons collectivement un rôle à jouer pour élever le degré de conscience de l’humanité. A partir du moment où nous en avons les moyens, cela devient un devoir. Cette noble mission demande que nous mettions nos capacités d’analyse, de réflexion et de synthèse au service de tous, sans condescendance mais en fraternité et en responsabilité, en évitant notamment ces raccourcis intellectuels que sont les micros-trottoirs.
Eric KOEBERLE
Maire de Bavilliers (90)
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