Le 03/03/2020
Bonjour à toutes et tous
Nous demandons non seulement une imprescriptibilité des crimes sexuels et des délits sexuels aggravés, mais également une interruption de la prescription dans les cas suivants :
Depuis le lancement en octobre 2016 de notre Manifeste pour l’imprescriptibilité des crimes sexuels co-signé par 26 associations et dont la pétition de soutien a été signée par plus de 38 000 personnes, puis en octobre 2017 de notre Manifeste contre l’impunité des crimes sexuels co-signé par 29 associations et dont la pétition de soutien a été signée par plus de 102 000 personnes, la déferlante #MeToo a libéré la parole de très nombreuses victimes, des scandales ont éclaté montrant à quel point la pédocriminalité touchait en toute impunité, tous les enfants de tout âge et de toutes conditions (et plus particulièrement les filles et les enfants les plus vulnérables), tous les univers dans lesquels ils grandissent, se développent et évoluent (famille, institutions, éducation, soins, loisirs, activités sportives, culturelles, cultuelles,…) et fait prendre conscience de son ampleur et de sa gravité. Le temps du déni, de la tolérance pour les pédocriminels et de la loi du silence est en train de devenir révolu, celui d’une réelle protection, d’une prise en charge spécialisée des victimes et d’une lutte contre l’impunité commence.
Rendre justice, offrir une protection, des soins, un accompagnement social et des réparations aux victimes de pédocriminels, protéger tous les enfants, doit être une priorité.Pourtant l’immense majorité des enfants victimes de ces crimes sexuels et ces délits sexuels aggravés restent abandonnés, sans protection ni soins, à devoir survivre seuls face aux violences et aux conséquences psychotraumatiques catastrophiques de celles-ci sur leur vie et leur santé.
Et ces crimes sexuels et ces délits sexuels aggravés, malgré leur ampleur et leur gravité restent presque tous impunis mettant ainsi en danger des générations d’enfants et toute la société.
La prescription, en empêchant d’instruire des crimes sexuels et de les juger, participe à cette impunité et à cette mise en danger des enfants et de la société.
La prescription est particulièrement injuste pour les victimes de viols et de délits sexuels aggravés dans l’enfance, la grande majorité des enfants victimes étant du fait de leur immaturité, de leur grande vulnérabilité, de leur dépendance et de l’intensité de leurs traumatismes dans l’incapacité de révéler les viols avant de nombreuses années, et même par dizaines d'années. Dans notre enquête conduite par Ipsos en 2019 sur les violences sexuelles dans l’enfance, les enfants victimes de viols sont 69% à parler (le plus souvent à quelqu’un de leur entourage proche) et ils mettent en moyenne 14 ans avant de pouvoir le faire, et plus de 25 ans pour ceux qui étaient âgés de moins de 10 ans au moment des viols. Mais parler n’est pas synonyme d’être protégés, ni soutenus pour porter plainte. En effet, quand les victimes arrivent enfin à parler, dans 75% des cas cela n’a aucun effet, et seules 8% des victimes ont été protégées, l’agresseur n’est éloigné de la victime que dans 6% des cas. Un quart des victimes côtoie encore l’agresseur et près d’une victime sur dix le croise régulièrement (MTV/Ipsos, 2019). Et pour porter plainte, il leur faut encore beaucoup de temps pour en avoir la force et trouver toutes les aides et la prise en charge nécessaires pour y arriver.
Cette prescription est d’autant plus cruelle et injuste que notre société ne laisse que peu de chance aux enfants victimes d’avoir accès à la justice en ne leur offrant pas de protection efficace, 83% d’entre eux disent n’avoir jamais été ni protégés, ni reconnus, et très peu de prise en charge spécialisée pour soigner leurs graves traumatismes et pour les soutenir socialement. Les professionnels de la santé et du secteur social et éducatif restent encore très peu formés à la prise en charge des enfants victimes de violences, et aux psychotraumatismes, de ce fait ils n’assurent que très peu de dépistage, de signalements (5% seulement des signalements sont faits par des professionnels de la santé, alors qu’ils sont en première ligne pour dépister les enfants traumatisés par des violences), d’accompagnements et de soins adaptés. 79% des professionnels de la santé ne font pas le lien entre les violences subies dans l’enfance (avec le traumatisme que cela a engendré) et leur état de santé, et seules 23% des victimes de viol ont bénéficié d’une prise en charge médico-psychologique spécialisée (MTV/Ipsos, 2019).
La situation actuelle avec la loi du 3 aout 2018 qui a allongé les délais de prescription des crimes sexuels sur les mineur.e.s de 20 à 30 ans après la majorité est insuffisante. Elle ne concerne pas les délits sexuels aggravés qui restent prescrits 20 ans après la majorité. Elle laisse sur le carreaux, avec un fort sentiment d’injustice, une grande quantité de victimes qui ne pourront pas avoir recours à la justice pénale puisqu’elle est non rétro-active pour les crimes déjà prescrits. Un pédocriminel ayant sévi de nombreuses années avec beaucoup de victimes sur lesquelles il aura commis les même crimes, ne sera jugé que sur les faits non prescrits, de ce fait, certaines victimes pourront accéder au procès et d’autres pas, quand bien même elles auront été à l’origine de l’arrestation du pédocriminel en ayant eu le courage de le dénoncer, comme cela a été le cas pour la championne de tennis Isabelle Demongeot avec l’entraineur De Camaret. Le procès aux assises de Le Scouarnec en mars laisse sur le carreau une des nièces, et le prochain procès va laisser sur le carreau de nombreuses victimes sur les 349 du fait de la prescription, des victimes qui ne pouvaient absolument pas porter plainte avant car elles étaient dans l’incapacité de se souvenir des faits, soit parce qu’ils ont été commis lors de leur anesthésie, soit parce que les victimes ont développé comme il est fréquent de le constater, des amnésies traumatiques qui pour certaines durent encore, ou bien parce qu’ils n’en avaient pas la force du fait de l’impact des violences sur leur santé, ou n’avaient pas la capacité d’identifier les faits que le contexte des soins rendaient très confus et incompréhensibles malgré des symptômes importants mais très difficiles à mettre en lien avec ce qui s’était passé, soit parce qu’ils étaient très traumatisés, anesthésiés par un état de dissociation traumatique ou dans des conduites d’évitement envahissantes. Comment la prescription peut-elle être justifiable dans ces cas, aucun des arguments qui nous sont habituellement opposés ne peut tenir comme le droit à l’oubli ou le dépérissement des preuves, et même le fait de vouloir réserver l’imprescriptibilité aux crimes contre l’humanité, comment une telle atteinte criminelle sur autant d’enfants ne constituerait-elle pas un crime contre l’humanité par son caractère massif et systémique, cruel et inhumain, et ses conséquences à long termes touchant plusieurs générations d’enfants. Il est important de rappeler que même lorsqu’il n’y a pas plusieurs victimes, le dépérissement des preuves ne peut être considéré comme un fait, le temps étant plutôt un facteur qui permet aux victimes de sortir de leur amnésie traumatique, d’être mieux protégées, de mieux comprendre et analyser ce qui leur est arrivé et la mémoire traumatique des violences peut être analysée de façon très précise et fournir de nombreux indices sur les violences leurs contextes qui permettront de corroborer les faits ou qui permettront de constituer des faisceaux d’indices suffisamment graves et concordants pour qualifier les faits. Il est à noter que de nombreux viols sur mineurs qui sont signalés très rapidement n’en sont pas moins classés sans suite faute de preuve considérées comme suffisantes : il est à rappeler que 74% des viols sur mineurs sont classées sans suite ! (Info Stat Justice, 2018). Comment cette atteinte aux droits de ces victimes est-elle encore tolérable ?
Les enfants subissent donc une perte de chance très important et une triple peine : être victime de violences sexuelles particulièrement graves et traumatisantes, ne pas être secourus et ne pas être pris en charge, ne pas accéder à la justice et à des réparations.
Ne pas porter plainte dans les temps impartis n’est pas lié à un choix mais à une situation subie parce que les enfants sont des victimes particulièrement vulnérables de violences sexuelles extrêmement traumatisantes, et à une situation contrainte par la défaillance d’un Etat défaillant qui ne respecte ses obligations (de prévenir et de punir ces crimes, quel qu’en soit l’auteur) incapable de préserver leurs droits fondamentaux à la sécurité et à la préservation de leur intégrité physique et mentale des enfants.
Le 06/01/2020
À vous toutes et tous,
En ce début d’année 2020, le scandale autour de l’écrivain Gabriel Matzneff, en éclairant de façon cru le déni, la loi du silence, la complaisance et l’impunité inconcevable dont cet écrivain qui revendiquait des actes sexuels avec des enfants de moins de 15 ans a pu bénéficier pendant des décennies, fait resurgir l’absence scandaleuse de seuil d’âge légal du non-consentement des mineurs à des actes sexuels avec des adultes.
Nous avions dénoncé le fiasco de la loi Shiappa de 2018 qui n’avait pas fixé de seuil d’âge. Bientôt 1 an et demi après la loi, nous n’avons toujours pas le bilan de cette loi auquel s’était engagée Marlène Schiappa, qui aurait dû être fait par un groupe de suivi des condamnations pour vérifier l'efficacité du texte, mais nous savons que l’article 2 de sa loi est manifestement en échec. Depuis la loi, nombreuses décisions judiciaires montrent que cette loi en l’absence de seuil d’âge du non-consentement n’a pas permis d’éviter que des enfants de moins de 15 ans soient encore considérés comme consentants à des pénétrations sexuelles commises par des adultes, ni d’éviter que ces viols soient décriminalisés.
Afin de mieux protéger les enfants des pédocriminels, pour édicter un interdit clair, et incontournable, et pour lutter contre l’impunité des violences sexuelles faites aux enfants, nous attendons du gouvernement et des parlementaires qu’ils votent enfin en urgence une loi qui instaure :
Et nous demandons plus que jamais au gouvernement de mettre en œuvre en urgence les 8 mesures urgentes de notre Manifeste contre l’impunité et de sa pétition de soutien, avec entre autres : la formation de tous les professionnels, d’importants moyens financiers et humains alloués à la Justice, l’imprescriptibilité des crimes sexuels, la reconnaissance de l’amnésie traumatique comme obstacle insurmontable levant la prescription, la levée de la prescription quand il y a plusieurs victimes d’un même agresseur sexuel dont certaines ont été victimes de faits prescrits et d’autres non, la révision de la définition du viol et des agressions sexuelles autour du consentement comme le demande la convention européenne d’Istanbul, l’interdiction de déqualifier les faits, des juridictions spécialisées, et la mise en place et la mise en place d’une commission justice pluridisciplinaire et indépendante pour ré-évaluer les dossiers de plaintes classées sans suite, faisant l’objet de déqualification ou de non-lieux…
Merci beaucoup pour votre précieux soutien et pour la diffusion et le partage de cette pétition, nous vous souhaitons une excellente année 2020 qui verra, nous l’espérons, s’améliorer les droits et la protection des victimes de violences de violences sexuelles, et reculer l’impunité de ces violences.
Dre Muriel Salmona, présidente de l'association Mémoire Traumatique et Victimologie
À lire pour compléter:
Chronique d’un échec annoncé : Un an après la loi dite Schiappa de 2018, l’article 2 de cette loi est bel et bien un échec…
https://stopauxviolences.blogspot.com/2019/08/bilan-un-apres-la-loi-dite-schiappa.html
AFFAIRE MATZNEFF Pour mieux lutter contre la pédocriminalité et son impunité : il est impératif d’instaurer un seuil d’âge du non-consentement et de créer un crime et un délit spécifiques
https://stopauxviolences.blogspot.com/2020/01/affaire-matzneff-pour-mieux-lutter.html
NOUS N’AVONS OBTENU NI L’UN NI LES AUTRES… et nous dénonçons la campagne de désinformation et les attaques du secrétariat d’État pour l’égalité entre les femmes et les hommes.
Face à ces violences sexuelles exceptionnelles, des réponses politiques exceptionnelles et des moyens exceptionnels et urgents doivent être mis en place : l’imprescriptibilité et la mise en place d’un seuil d’âge du consentement en dessous duquel tout acte sexuel commis par un adulte est automatiquement considéré comme une agression sexuelle ou un viol s’il y a eu pénétration font partie des mesures absolument nécessaires pour renforcer la lutte contre les violences sexuelles envers les mineurs, et renforcer la protection des mineurs contre ces violences.
Dre Muriel Salmona
Une première victoire !
Le plan national de lutte contre les violences sexistes et sexuelles présenté par Emmanuel Macron le 25 novembre 2017 est une véritable avancée et une première victoire pour nous puisqu’il reprend plusieurs mesures phares de notre Manifeste contre l’impunité que nous avions présentées à Marlène Schiappa le 20 octobre au secrétariat d’État à l’égalité entre les femmes et les hommes que vous avez soutenues avec cette pétition, ce dont vous remercions infiniment.
Nos mesures phares qui sont reprises dans le plan nationales sont :
À ces mesures que nous préconisons s’ajoute la mise en place de grandes campagnes nationales pour lutter contre le sexisme et les violences sexuelles, et pour lutter contre les stéréotypes sexistes, ainsi que la création d’un nouveau délit : le délit d’outrage sexiste qui nous paraît également une bonne chose pour sécuriser les lieux publics et les transports pour les femmes et édicter des limites claires et ne plus tolérer les propos sexistes.
Nous espérons que le discours engagé d’Emmanuel Macron associé au mouvement de libération de la parole des victimes de violences sexuelles depuis l’affaire Weinstein marquent un tournant historique dans la prise de conscience de notre société de l’ampleur et la gravité de ces violences, signent la fin de la tolérance, de la complicité et de l’impunité dont bénéficiaient jusque là les agresseurs et ouvrent une nouvelle ère de solidarité et de protection vis à vis des victimes où leurs droits seront enfin respectés.
Mais ces mesures sont loin d’être suffisantes, elles ne prennent pas l’entière mesure de la gravité de la situation, de l’abandon où sont laissées la grande majorité des victimes sans protection, ni aide, ni reconnaissance, dans un non-respect intolérable de leurs droits et de l’impunité quasi-totale dont bénéficient les agresseurs : des grandes réformes et des moyens suffisants - qui ne sont malheureusement pas au rendez-vous dans le cadre de ce plan national - sont à mettre en place pour répondre à l’ampleur et l’urgence du problème à la fois sociétal, humain et de santé publique que représentent ces violences sexuelles, et nous continuons plus que jamais avec vous notre combat contre l’impunité qui avance avec de nombreuses auditions par les parlementaires à propos de nos propositions.
Voir mon analyse complète des mesures proposées par le président et son gouvernement.
Dre Muriel Salmona
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