Monsieur le Président,
Jusqu’où ira la haine de soi ? Alors que vous venez de débaptiser le lycée Colbert de Thionville au profit d’un nouveau nom qui sied mieux à l’américanisme ambiant, en l’occurrence « Rosa Parks », il n’est pas illégitime de se poser la question.
Jean-Baptiste Colbert... Alors qu'il fut grand secrétaire d’État à la Marine durant la seconde moitié du XVIIᵉ siècle, principal ministre de Louis XIV et théoricien d’un système économique qui porte encore son nom, les progressistes et les manifestants antiracistes d’aujourd’hui le qualifient avant tout de négrophobe patenté, car principal initiateur du Code noir. C'est pourquoi, vous estimez que sa place n’est plus au frontispice de certains établissements scolaires mais devant le tribunal de l’histoire.
L’anachronisme de ce révisionnisme historique n’est-il pas un peu grossier ? Doit-on se soumettre à ce point à la dictature de l’émotion et à l’excuse perpétuelle comme si notre pays n'aurait rien fait d'autre que de répandre le mal dans le monde à travers les siècles ? Pour reprendre une expression typique de cette culture américaine qui semble vous être chère, should we plead guilty?
Du point de vue de l'antiracisme, l'histoire de France semble trop complexe pour ne pas préférer adopter des modèles étrangers jugés plus consensuels. Dès lors, pourquoi ne pas rebaptiser tous les collèges et lycées par « Barack Obama », ou même par « Ronald Macdonald » ? L’épineuse question de savoir comment rendre hommage à nos héros nationaux serait définitivement réglée. Le « vivre ensemble » pourrait alors enfin s’opérer, sans heurt ni embûche, et les activistes « décoloniaux » qui squattent les estrades des manifestations et les plateaux de télévision seraient satisfaits.
Pour eux, il est vrai que Rosa Parks, dont l’histoire n’a pourtant aucun écho avec notre roman national, est moins problématique que Colbert, Napoléon ou Robespierre. C’était une femme bienveillante, non-violente, symbole de la lutte contre les ségrégations raciales aux États-Unis. De plus, cette femme n’a jamais fait de mal à personne, ce qui n’est, avouons-le, pas négligeable. Pour l'antiracisme primaire, la grandeur de notre passé, faite de conquêtes, de guerres et de colonisations, ne peut pas se prévaloir des mêmes atouts ! Notre histoire serait devenue un obstacle à cause duquel il faudrait courber l’échine.
Mais alors, dans ce cas, allons plus loin et baissons la tête encore plus bas ! Ainsi, prenons-nous en directement à Louis XIV qui, en y réfléchissant, était le patron et responsable hiérarchique direct de Colbert alors que ce dernier n’a fait que suivre les ordres. Déboulonnons donc les statues du Roi-Soleil, présentes notamment à Paris, place des Victoires, et à Versailles, à l’entrée du château, édifice dont il faudra un jour songer à se débarrasser, tant il incarne l’absolutisme royal, la période du Code noir et notre éclatant passé construit sur la violence et l’asservissement des peuples !
« Nous autres, civilisations, savons maintenant que nous sommes mortelles », écrivait Paul Valéry il y a cent ans. Cependant, il y a fort à parier que la nôtre ne disparaîtra pas vaincue par les armes mais s’éteindra dans la haine de soi, de son histoire, de son passé. N’ayant plus rien à proposer que la repentance ad nauseam, elle mourra simplement dans une chute amortie par l’indifférence des autres civilisations.
Monsieur le Président, renoncez à votre projet fou et gardez le nom de Colbert au lycée de Thionville.
FR
EN