Sur une île au cœur du Lac Victoria, à l'ouest de la Tanzanie, se trouve un lieu à la fois inattendu et fascinant : l'île de Rubondo. Autrefois habitée par la tribu Zinza, qui entretenait des plantations de bananes et comptait environ 400 habitants, l'île a été transformée dans les années 1960 en une réserve afin de fournir un sanctuaire aux animaux. Les habitants ont été réinstallés sur les îles voisines et sur le continent, et des sanctions ont été mises en place pour interdire le débarquement non autorisé ou le braconnage. Aujourd'hui, l'île est inhabitée et environ 80 % de sa superficie reste boisée, offrant un cadre naturel presque intact pour les espèces qui y vivent. En 1977, Rubondo a été officiellement classée parc national, garantissant un niveau de protection supplémentaire

Ce qui rend l'histoire de Rubondo unique ce sont ces animaux, pour certains élevés ou captifs, qui ont été relâchés dans un milieu nouveau, sans nourrissage artificiel permanent, sans chasse, et qui ont fini par s'intégrer, se reproduire, évoluer de façon presque naturelle. Un pari fou qui a pourtant fonctionné.

Comment tout cela est-il arrivé ? 

Le projet est né dans les années 1960, sous l'impulsion du professeur Bernhard Grzimek de la Société zoologique de Francfort, célèbre pour ses travaux de conservation. L'idée était d'utiliser cette île isolée, sans grands prédateurs humains, comme refuge pour des espèces menacées.
Entre 1966 et 1969, 16 à 17 chimpanzés provenant de zoos ou de cirques européens pendant des périodes allant de quelques mois à neuf ans ont été transportés et relâchés sur l'île, sans bénéficier d'une formation de rééducation ou de pré-libération. 

Un projet qui peut paraître complètement insensé et voué à l'échec. Pourtant malgré ce passé en captivité, les chimpanzés ont rapidement retrouvé des comportements naturels. Un an après leur relâche, ils étaient capables de trouver et consommer de la nourriture sauvage, et construisaient des nids dans les arbres, revenant à un état proche de celui des chimpanzés sauvages. De seize fondateurs, la population est maintenant estimée à environ quarante individus. 

En plus des chimpanzés, sept autres espèces ont été introduites sur l'île : l'antilope roan et le rhinocéros noir ainsi que le suni, les éléphants de brousse africains, les girafes, le guereza mantelé et des perroquets gris confisqués dans le commerce illégal. La faune indigène comprend des singes vervets, des sitatungas, des hippopotames, des genettes et le buisson harnais.

Ce qui rend Rubondo particulièrement remarquable, c'est que tous ces animaux vivent de manière autonome. Nul besoin de les nourrir ou de les chasser pour les réguler, ils se sont tous bien intégrés et ils sont complètement indépendants

L'isolement, la richesse de l'écosystème, l'absence ou la quasi-absence de grands prédateurs et l'abondance de fruits et ressources naturelles (figues, etc) ont permis à ces populations animales de s'adapter et de prospérer. 

Cela dit, ce n'est pas un modèle sans critique : l'introduction d'espèces dans un milieu non originel pose évidemment des questions éthiques, écologiques et génétiques. Certains animaux introduits n'ont pas survécu ou se sont éteints localement (les rhinocéros, les antilopes roan par exemple). Il ne faut pas oublier que toute intervention humaine, même bien intentionnée, comporte des responsabilités, il faut surveiller, agir si nécessaire, et surtout écouter la nature plutôt que la dominer.

De plus, le fait que ces animaux viennent de milieux différents et aient été assemblés ailleurs a posé question… Ce n'est clairement pas un modèle en matière de préservation de la nature, il aurait été judicieux de laisser l'île comme elle l'était sans y introduire ces animaux mais aussi étonnant que cela puisse paraître le projet a fonctionné. 

L'île compte aujourd'hui plus de 300 espèces d'oiseaux, des habitats de marais, forêts primaires et zones côtières. Quant aux autres animaux les éléphants, les girafes, les hippocampes-candidats et d'autres espèces, ils ont trouvé leur place dans des milieux variés (forêt, marais, rivière, lac) de l'île. Par exemple, les sitatungas antilopes de marais  se plaisent dans les zones humides de Rubondo.

Bien que ce ne soit pas un modèle parfait de conservation, Rubondo reste un exemple rare où la vie sauvage reprend ses droits après une intervention humaine.

La conservation ne se résume donc pas toujours à capturer, exhiber ou nourrir, mais parfois à laisser-faire dans un cadre protégé, permettre la vie sauvage de reprendre, grandir et respirer.

C'est un des seuls projets de cette envergure qui ait réussi aujourd'hui.