Chaque printemps, les campagnes françaises voient réapparaître une scène aussi cocasse qu'inattendue : celle d'animaux sauvages désorientés, titubants, parfois allongés dans des jardins ou errant au bord des routes. En cause ? Une forme d'ivresse naturelle provoquée par l'ingestion de jeunes bourgeons riches en sucres, qui fermentent dans leur estomac.

Dans la nature, l'éthanol n'est pas réservé aux humains. Il se forme naturellement lors de la fermentation des sucres contenus dans les fruits mûrs ou en décomposition. En quête de nourriture, de nombreuses espèces consomment ces fruits sans se douter des effets secondaires. Et l'alcool agit sur leur système nerveux comme sur le nôtre : pertes de coordination, comportements inhabituels, somnolence, voire désorientation. Ainsi, au printemps, un simple bourgeon peut suffire à faire tourner la tête à toute une population de chevreuils.

À Dole, en avril 2025, un chevreuil grisé s'est retrouvé piégé dans la cour d'une école maternelle au petit matin. Dans le Jura ou en Haute-Saône, des cas similaires sont régulièrement signalés : chevreuils zigzaguant sur les routes et tentant de traverser des clôtures, chamois trop joyeux ou animaux paniqués heurtant grillages et vitres. Loin d'être anecdotiques, ces comportement sont bien connus des centres de soins à la faune qui appellent d'ailleurs à la prudence. Si vous croisez un animal au comportement inhabituel, mieux vaut ne pas intervenir directement. Un animal ivre n'est pas forcément blessé, mais il reste stressé, désorienté, et parfois imprévisible. L'idéal est de garder ses distances et de prévenir une structure spécialisée si l'animal semble en détresse ou en danger.

Ce phénomène d'ivresse ne touche pas que les mammifères. Par exemple, les mouches du vinaigre, ces petites mouches qu'on trouve souvent sur les fruits en train de pourrir, vivent dans un environnement naturellement chargé en alcool produit par la fermentation. Elles ont développé une grande tolérance à cet alcool, ce qui les protège de certains prédateurs, comme les guêpes, qui y sont beaucoup plus sensibles. Cette stratégie est étudiée de près par des chercheurs en écologie évolutive qui montrent comment l'exposition à l'alcool a façonné certains comportements et capacités chez ces insectes.

Et chez les oiseaux, l'expression “saoul comme une grive” prend tout son sens lorsque des étourneaux, après avoir ingéré des baies fermentées, chutent littéralement du ciel.

Si ces scènes prêtent à sourire, elles n'en restent pas moins préoccupantes. L'ébriété chez les animaux peut les rendre vulnérables : ils deviennent des proies plus faciles, se blessent ou se retrouvent désorientés, parfois en danger à proximité des routes ou des habitations. Avec le réchauffement climatique, la fermentation des fruits pourrait devenir plus fréquente, augmentant ainsi les risques pour la faune. 

Alors, si vous croisez un oiseau au vol hésitant ou un chevreuil un peu trop expressif, il se pourrait bien qu'il ait simplement abusé des douceurs du printemps. Et surtout, restons attentifs sur nos routes !